De La règle des 17 syllabes …
Et de son respect – ou pas.
En japonais, la règle des 17 syllabes est consubstantielle du haïku, elle a été établie une fois pour toute par les pères fondateurs : Bashô au XVII ème siècle et Senryû le Vieux, qui a vécu moins d’un siècle plus tard qui en a établi une variante : le Senryû.
Le Senryû se distingue du Haïku par sa facture et par les thèmes qu’il aborde, mais ces deux formes ont en commun un respect absolu de la métrique : 17 syllabes, pas une de plus ni de moins, réparties pour ce qui concerne le Haïku en 3 vers de respectivement : 5 pieds / 7 pieds / 5 pieds.
Tout au plus, le Senryû propose t-il de distribuer librement les 17 syllabes, en autant de lignes que l’on veut : 3 / 8 / 4 / 2 … Ou bien entendu tout autre combinaison possible … dans la limite immuable de 17 syllabes.
Cette métrique scande donc de manière immédiatement sensible en japonais, ces courts poèmes que l’on peut reconnaître le à leur « musique » commune.
Mais alors, qu’en est-il de leur traduction ?
Plusieurs écoles s’affrontent : certains traducteurs s’attachent à reproduire la métrique d’origine, se livrant pour ce faire parfois à de véritables contorsions. D’autres, et non des moindres à l’instar de René Sieffert, LE traducteur et spécialiste français du Haïku à qui le genre doit tout chez nous, méprisent ce « pinaillage de cuistre ou de pédant » et proposent des traductions de métrique libre (et celles de René Sieffert sont parmi les plus belles).
Quant aux auteurs non japonais* qui se frottent au genre, bravant l’interdit que ce même Sieffert leur oppose, ils ne sont pas nombreux à respecter la règle des 17 syllabes.
On peut en effet juger parfaitement vain de suivre une contrainte que la prosodie d’une langue aussi éloignée du japonais que le français, ou l’anglais, ou l’allemand, ou le serbo croate (Hé oui ! La pratique sauvage du haïku est internationale), rend parfaitement arbitraire et artificielle. Et que la dimension visuelle de cet art où l’écriture, la subtilité d’un caractère chinois la composition, voire la calligraphie apportent des nuances d’expression subtiles, est complètement inaccessible aux non japonais.
Et pourtant !
Je me suis personnellement toujours efforcée de me plier à la règle. D’abord parce que c’est une règle et qu’elle confère à mes tâtonnements une forme de rigueur qui – peut être – les sauve du complet ridicule … Et surtout, bien sûr, parce la contrainte stimule la créativité.
Et enfin, connaissez-vous une seule danse – poétique ou de salon – qui se pratique sur ce rythme boitillant : un deux trois quatre cinq / une deux trois quatre cinq six sept / un deux trois quatre cinq ?
Vous me suivez ?
Ce n’est pas une valse, ce n’est pas une bourrée, pas même une biguine ou un tango ! Ce n’est pas un sonnet, ni une ode, ni un lai, ni un rondeau ! Alors, peut-être, est-ce un Haïku.
On a du pour le composer, compter sur ses doigts, changer des mots, polir, raccourcir, rallonger … faire preuve d’inventivité, bricoler. Pendant ce temps, l’image se précise, elle s’inscrit, puis elle trouve enfin à se nicher dans les 17 syllabes. Elle s’impose … Avant d’être remise en cause dès la prochaine lecture.
Car une des idées fausses à propos du Haïku, est l’image d’un trait de génie soudain, qui sortirait tout armé du cerveau de son créateur après une longue méditation silencieuse. NON ! Le haïjin est laborieux ! Il reprend et corrige, se creuse la tête pour faire tenir son ressenti dans ses foutues 17 syllabes !
Bashô lui-même reprenait ses versets jusqu’à des mois après leur première écriture et recommandait à ses disciples de faire de même, un premier jet étant toujours perfectible.
Alors voilà, 17 syllabes forever.
Enfin … c’est un principe, avec lequel on triche souvent, jouant de l’apocope, du « e » muet et essayant de ne pas penser à ce qu’un haïku d’à peu près 17 syllabes donnera prononcé par un marseillais …
Et vous constaterez que parfois, je déroge, soit en glissant du côté du Senryû (17 syllabes en tout) soit en glissant du côté d’autre chose, le Haïku à la 6/4/2 comme dirait ma grand-mère …
Mais vous l’aurez compris en parcourant ce site, c’est l’intention qui compte, on fait ce qu’on peut. Et dans cette mesure, le haïku est somme toute l’affaire de tous …
Alors, vous vous y mettez quand ?
* À ce sujet, on peut lire « Pourquoi les non Japonais écrivent-ils des haïkus » de Alain Kevern