Barthes
Roland Barthes

Roland Barthes

C’est une sorte de sonnerie, dessin de cloche très bref, unique et cristallin qui dit : je viens d’être touché par quelque chose. Voilà ce que ça veut dire, le haïku. 
Et d’un autre côté (qui est l’autre côté de la contradiction) : cet instant pur, c’est à dire sans compromission, qui semble ne se compromettre dans aucune congélation (c’est un instant absolument frais : comme si on mangeait la chose notée, sur l’arbre même, comme un animal qui broute l’herbe vivante de la sensation), donc, cet Instant semble dire aussi : je sonne tout de suite, dans l’instant, mais c’est pour que tu te souviennes, c’est un instant qui a vocation de Trésor. 

Roland Barthes

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Le Haïku nous fait souvenir de ce qui ne nous est jamais arrivé. En lui nous reconnaissons une répétition sans origine, un évènement sans cause, une mémoire sans personne, une parole sans amarres. Ce que je dis ici du Haïku je pourrais le dire aussi de tout ce qui advient lorsqu’on voyage dans ce pays que l’on appelle le Japon. Car là-bas, dans la rue, dans un bar, dans un magasin, dans un train, il advient toujours quelque chose.

( L’empire des signes)

Roland Barthes

C’est une sorte de sonnerie, dessin de cloche très bref, unique et cristallin qui dit : je viens d’être touché par quelque chose. Voilà ce que ça veut dire, le haïku. 
Et d’un autre côté (qui est l’autre côté de la contradiction) : cet instant pur, c’est à dire sans compromission, qui semble ne se compromettre dans aucune congélation (c’est un instant absolument frais : comme si on mangeait la chose notée, sur l’arbre même, comme un animal qui broute l’herbe vivante de la sensation), donc, cet Instant semble dire aussi : je sonne tout de suite, dans l’instant, mais c’est pour que tu te souviennes, c’est un instant qui a vocation de Trésor. 
« La préparation du roman » Cours au collège de France 1988-79 1979-80)/ Le Seuil

Roland Barthes

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(…) d’un côté il est évident que le haïku n’est pas un acte d’écriture à la Proust, c’est à dire destiné à « retrouver » le Temps (perdu) ensuite et après coup (…) par l’action souveraine de la mémoire involontaire. Dans le haïku, il s’agit au contraire de trouver (et non pas de retrouver) le Temps tout de suite et sur le champ ; le Temps est sauvé tout de suite comme si il y avait concomitance de la note (de l’écriture) et de l’incitation, comme s’il y avait une fruition (ce mot existe en français, n’en doutez pas, c’est dans Montaigne, une jouissance) immédiate du sensible et de l’écriture, l’un jouissant par l’autre grâce à la forme haïku. Donc, dans le haïku, il y a une écriture de l’instant, une écriture absolue de l’instant.

Roland Barthes

Il s’amincit jusqu’à la pure et simple désignation : “c’est cela, c’est ainsi”, dit le haïku, ou mieux encore : “Tel!” dit-il, d’une touche si instantanée et si courte que la copule y est encore de trop, comme le remords d’une définition interdite, à jamais éloignée. Le sens d’un flash, une griffure de lumière.

Roland Barthes (…)

Roland Barthes (…)

Le Haïku n’est pas une pensée riche réduite à une forme brève, mais un évènement bref qui trouve d’un coup sa forme juste.