Junichirô Tanizaki

Lorsque j'écoute le bruit, pareil à un cri d'insecte loitain, ce sifflement qui vrille l'oreille, qu'émet le bol de bouilon posé devant moi, et que je savoure à l'avance en secret le parfun du breuvage, chaque fois je me sens entraîné dans le domaine de l'extase. Les...

Bashô

Les jours et les mois s’égrènent, passants fugaces. Les années qui surviennent et s’en vont voyagent elles aussi. Notre vie même est un voyage, quant à ceux qui la passent à naviguer, ou ceux dont les cheveux blanchissent à mener leur attelage, la route n’est-elle pas leur véritable demeure?
(Bashô – Le chemin étroit vers les contrées du Nord.)

Roland Barthes

C’est une sorte de sonnerie, dessin de cloche très bref, unique et cristallin qui dit : je viens d’être touché par quelque chose. Voilà ce que ça veut dire, le haïku. 
Et d’un autre côté (qui est l’autre côté de la contradiction) : cet instant pur, c’est à dire sans compromission, qui semble ne se compromettre dans aucune congélation (c’est un instant absolument frais : comme si on mangeait la chose notée, sur l’arbre même, comme un animal qui broute l’herbe vivante de la sensation), donc, cet Instant semble dire aussi : je sonne tout de suite, dans l’instant, mais c’est pour que tu te souviennes, c’est un instant qui a vocation de Trésor. 

Basho

Les jours et les mois s’égrènent, passants fugaces. Les années qui surviennent et s’en vont voyagent elles aussi. Notre vie même est un voyage, quant à ceux qui la passent à naviguer, ou ceux dont les cheveux blanchissent à mener leur attelage, la route n’est-elle pas leur véritable demeure ?
(Le chemin étroit vers les contrées du Nord.)

Philippe Forest

Les images d’un certain Japron traditionnel invitent irrésistiblement le voyageur à l’art du haïku. Dix-sept syllabes suffisent à tisser d’un seul vers sur lequel passent les quelques perles de deux ou trois sensations où se résume l’univers. Cela fait de la matière d’une illumination très convenable et dont n’importe quel esprit puisse se satisfaire.

Roland Barthes

Le Haïku nous fait souvenir de ce qui ne nous est jamais arrivé. En lui nous reconnaissons une répétition sans origine, un évènement sans cause, une mémoire sans personne, une parole sans amarres. Ce que je dis ici du Haïku je pourrais le dire aussi de tout ce qui advient lorsqu’on voyage dans ce pays que l’on appelle le Japon. Car là-bas, dans la rue, dans un bar, dans un magasin, dans un train, il advient toujours quelque chose.

( L’empire des signes)

Nicolas Bouvier

Ici l’oeil travaille dur, et sans arrêt. Il ne reste plus rien pour la cervelle .Tout ce qui relève du domaine graphique, le Japonais pourront le faire à merveille. Mais ils ne pourront pas vous l’expliquer.

Roland Barthes

C’est une sorte de sonnerie, dessin de cloche très bref, unique et cristallin qui dit : je viens d’être touché par quelque chose. Voilà ce que ça veut dire, le haïku. 
Et d’un autre côté (qui est l’autre côté de la contradiction) : cet instant pur, c’est à dire sans compromission, qui semble ne se compromettre dans aucune congélation (c’est un instant absolument frais : comme si on mangeait la chose notée, sur l’arbre même, comme un animal qui broute l’herbe vivante de la sensation), donc, cet Instant semble dire aussi : je sonne tout de suite, dans l’instant, mais c’est pour que tu te souviennes, c’est un instant qui a vocation de Trésor. 
« La préparation du roman » Cours au collège de France 1988-79 1979-80)/ Le Seuil

Sôseki

Il ne s’agit pas de projeter le monde. Il suffit d’y poser son regard directement, c’est là que naît la poésie, c’est là que le chant s’élève. Même si l’idée n’est pas couchée par écrit, le son du cristal résonne dans le coeur.
(Oreiller d’herbes)

Olivier Adam

Qu’il s’agisse d’écrire ou de lire tout est affaire de présence. Et c’est à cela que nous invite le haïku : accroître notre présence, densifier notre rapport au réel, aux autres, à nous-mêmes. Habiter poétiquement le monde, en somme. Rien de plus contemporain. Rien de plus moderne. Rien de plus urgent.

Bergounioux

Le vert est fade, froid, humide fraîcheur des mousses et des gazons anglais, clarté d’aquarium du sous-bois, étangs morts tapissés de lentilles d’eau, murs tournés au nord, courettes humides scolopendres des puits, terne duvet des bols d’hiver entre les rideaux de claire-voie des arbres émaciés. Sons sens ne nous trompent pas. On frissonne. Une impatience nous prend de sortir, de retrouver la gloire de l’été, l’or des moissons, le soleil.

Sôseki

Le printemps nous endort. Les chats oublient d’attraper les souris et les hommes oublient leurs dettes. On oublie alors le lieu de son âme et notre raison s’égare. Ce n’est qu’à la vue des fleurs de colza qu’on s’éveille. Quand on entend le chant de l’alouette, on reconnaît l’existence de son âme.

Sôseki Natsume

Le poète a le devoir de disséquer lui-même son propre cadavre et de rendre public les résultats de sa propre autopsie. Il y a pour cela divers moyens. Mais le plus simple est de résumer en dix sept syllabes tout ce qu’on trouve à portée de sa main. Les dix sept syllabes constituent la structure poétique la plus commode à maîtriser : on peut l’appliquer aisément en se lavant le visage, en allant aux toilettes, en prenant le train. La facilité de l’usage de ces dix sept syllabes implique celle de devenir poète : il ne faut pas mépriser cette activité sous prétexte qu’elle est trop accessible et que la poésie exige une sorte d’initiation. Je pense que la commodité est au contraire une vertu qu’il convient de respecter.

(Oreiller d’herbes)

Sôseki Natsume

Lorsque le mal de vivre s’accroît, l’envie vous prend de vous installer dans un endroit paisible. Dès que vous avez compris qu’il est partout difficile de vivre, alors naît la poésie et advient la peinture.

(Sôséki Natsumé. Oreiller d’herbes)

Philippe Forest

Le Haïku n’est l’expression d’aucune sagesse, juste une incision très légère faite dans la trame du temps, la césure nette et infime par où se laisse apercevoir la vrille d’un vertige ouvrant sur nulle part, précipitant le passage du présent puis le suspendant sur la pointe insignifiante d’un seul instant.


Aragon

Tout le bizarre de l’homme et ce qu’il a en lui de vagabond et d’égaré, sans doute pourrait-t-il se tenir dans ces deux syllabes : jardin

Sôseki

Les haïkus et les poèmes que j'ai conçus pendant ma maladie ne sont pas le résultat d'une  recherche destinée à tromper mon ennui non plus que le résultat de l'oisiveté, non. Mon coeur, libéré de la pression de la vie réelle, revenu à sa liberté originelle, a pris la...

Roland Barthes

(…) d’un côté il est évident que le haïku n’est pas un acte d’écriture à la Proust, c’est à dire destiné à « retrouver » le Temps (perdu) ensuite et après coup (…) par l’action souveraine de la mémoire involontaire. Dans le haïku, il s’agit au contraire de trouver (et non pas de retrouver) le Temps tout de suite et sur le champ ; le Temps est sauvé tout de suite comme si il y avait concomitance de la note (de l’écriture) et de l’incitation, comme s’il y avait une fruition (ce mot existe en français, n’en doutez pas, c’est dans Montaigne, une jouissance) immédiate du sensible et de l’écriture, l’un jouissant par l’autre grâce à la forme haïku. Donc, dans le haïku, il y a une écriture de l’instant, une écriture absolue de l’instant.

Bergounioux

Le jaune, lorsqu’il est vif, est la parure de la terre. C’est l’or et la gloire des moissons, midi, le plein été, la magie des lampes dans le bleu du soir, la flamme, les fleurs qui escortent la marche du soleil, la resplendissante lessive du couchant et le champ des étoiles. (…) Mais que le jaune perde de son éclat et c’est vers l’extrémité opposée, au plus bas de nous-même que nous sommes tirés. (…) Il n’est au pouvoir de personne de se débarrasser de sa pensée, de s’empêcher d’anticiper. Sous le jaune le plus brillant, la richesse et le rayonnement des instants qu’il magnifie, leur contraire est tapi. Qu’ils palissent, s’éloignent, et voici l’anémie, l’indigence, la désolation, l’accablement et nous savons bien qu’ils pâliront.
« Couleurs ». P Bergougnioux et Joël Leick. Ed Fata Morgana 2011

Yves Bonnefoy

La langue, oui – mais aussi ce silence qui la troue, l’amincit, filigrane clair, la dissipe presque dans sa lumière

Junichirô Tanizaki

Lorsque j'écoute le bruit, pareil à un cri d'insecte loitain, ce sifflement qui vrille l'oreille, qu'émet le bol de bouilon posé devant moi, et que je savoure à l'avance en secret le parfun du breuvage, chaque fois je me sens entraîné dans le domaine de l'extase. Les...

Paris (7)

Merle valeureux ton chant s'étiole et s'épuise mais le jour se lève Matin dans la cour voix cassée de la pie seule au monde   La pluie a cessé de la nuit plus noire encore monte un froid regret PARIS

Bashô

Les jours et les mois s’égrènent, passants fugaces. Les années qui surviennent et s’en vont voyagent elles aussi. Notre vie même est un voyage, quant à ceux qui la passent à naviguer, ou ceux dont les cheveux blanchissent à mener leur attelage, la route n’est-elle pas leur véritable demeure?
(Bashô – Le chemin étroit vers les contrées du Nord.)

Paris (6)

Les yeux noyés d’ombre
enveloppée par la nuit
Regardant sans voir

Entre les rideaux
filtre un trait de lueur pâle
rien de plus – jamais

Le reflet de la lune
et six cygnes endormis
sur l’eau noire dérivent.

Paris (5)

Derrière le pigeon
courent les petits garçons
son envol, leurs cris

Paris (4)

La ville, la nuit
la couleur de son ciel
nul ne peut la nommer

Autour de ma lampe
la grosse mouche ne vole plus
il est donc si tard ?

J’ai éteint la lampe
pour mieux écouter la pluie
elle cesse aussitôt

Paris (3)

J’ai fendu la foule
Parvis de la Gare du Nord
Traversée d’Afrique

Metro aérien
le parfum du budleia
l’ai je rêvé ?

Le ciel est si gris
que soudain mes mains retombent
A quoi bon partir ?

Paris (2)

Bain de voix d’ailleurs

dans la rumeur du marché

tentation de fraise

Sous le bleu du ciel

pédalant avec lenteur
– 
avalant l’air sale

Me tordant le cou

pour lire la tranche des livres
Dans la librairie

Paris

Dix bouées sur le canal
pour s’y percher
onze cormorans se disputent

Tout autour de moi
des pas frottent les pavés
pas un seul regard

Elle a dérangé
pour s’asseoir au bout du banc
les deux amoureux

Roland Barthes

C’est une sorte de sonnerie, dessin de cloche très bref, unique et cristallin qui dit : je viens d’être touché par quelque chose. Voilà ce que ça veut dire, le haïku. 
Et d’un autre côté (qui est l’autre côté de la contradiction) : cet instant pur, c’est à dire sans compromission, qui semble ne se compromettre dans aucune congélation (c’est un instant absolument frais : comme si on mangeait la chose notée, sur l’arbre même, comme un animal qui broute l’herbe vivante de la sensation), donc, cet Instant semble dire aussi : je sonne tout de suite, dans l’instant, mais c’est pour que tu te souviennes, c’est un instant qui a vocation de Trésor.